dimanche 27 mai 2012

Des poèmes-dialogues à faire jouer!





 
Monsieur interroge Monsieur 
Monsieur pardonnez-moi
de vous importuner
quel bizarre chapeau
vous avez sur la tête !
- Monsieur vous vous trompez
car je n'ai plus de tête
comment voulez-vous donc
que je porte un chapeau !
- Et quel est cet habit
dont vous êtes vêtu ?
- Monsieur je le regrette
mais je n'ai plus de corps
et n'ayant plus de corps
je ne mets plus d'habit
- Pourtant lorsque je parle
Monsieur vous répondez
et cela m'encourage
à vous interroger :
Monsieur quels sont ces gens
que je vois rassemblés
et qui semblent attendre
avant de s'avancer ?
- Monsieur ce sont des arbres
dans une plaine immense
Ils ne peuvent bouger
car ils sont attachés
Monsieur Monsieur Monsieur
au-dessus de nos têtes
Quels sont ces yeux nombreux
qui dans la nuit regardent ?
- Monsieur ce sont des astres
Ils tournent sur eux-même
et ne regardent rien
[...]
- Monsieur soudain ceci
soudain ceci m'étonne
Il n'y a plus personne
pourtant moi je vous parle
et vous vous m'entendez
puisque vous répondez !
- Monsieur ce sont les choses
qui ne voient ni entendent
mais qui voudraient entendre
et qui voudraient parler
- Monsieur à travers tout
quelles sont ces images
tantôt en liberté
et tantôt enfermées
Cette énorme pensée
Où des figures passent
Où brillent des couleurs ?
- Monsieur c'était l'espace
et l'espace
se meurt
Jean Tardieu ("Monsieur monsieur" Gallimard 1951)

Dialogue avec le charbon



Où habites-tu ?
J’habite sous les montagnes de dix mille ans,
J’habite dans les rochers de dix mille ans.

Quel âge as-tu ?
Je suis plus vieux que ces montagnes,
Plus vieux que ces rochers.

Depuis quand es-tu silencieux ?
Depuis que les dinosaures ont régné sur les forêts,
Depuis le premier craquement de l’écorce terrestre.

Serais-tu mort de trop de rancœur ?
Mort ? Non, je suis encore vivant -
Donne-moi du feu, donne-moi du feu !

Ai Ts’ing 
 

Conversation



(sur le pas de la porte, avec bonhomie.)

Comment ça va sur la terre ?
- Ça va ça va, ça va bien.

Les petits chiens sont-ils prospères ?
- Mon Dieu oui merci bien.

Et les nuages ?
- Ça flotte.

Et les volcans ?
- Ça mijote.

Et les fleuves ?
- Ça s'écoule.

Et le temps ?
- Ça se déroule.

Et votre âme ?
- Elle est malade
le printemps était trop vert
elle a mangé trop de salade.

Jean Tardieu


 

Dites donc, un poète



- Dites donc, un poète, à quoi ça sert ?
- Ca remplace les chiens par des licornes.
- Dites donc, ça n'a pas d'autres talents ?
- Il apporte le rêve à ceux qui n'ose pas rêver.
- Vous trouvez ça utile, dites donc ?
- Quand il veut, il persuade les comètes de s'arrêter chez vous.
- Il trouble l'ordre, dites donc, ce type-là.
- Pas plus qu'un vol de scarabées,
pas plus qu'un peu de neige sur l'épaule.
- Il est bon pour l'hospice, dites donc.
- Il transformerait en palais de cristal avec mille musique.
- Qu'on le conduise à la fosse commune, dites donc, ce poète.
- Alors décembre se prolongera jusqu'à la fin de juin.

Alain Bosquet



 

La môme néant



Quoi qu'a dit ? - A dit rin.
Quoi qu'a fait ? - A fait rin.
A quoi qu'a pense ? - A pense à rin.

Pourquoi qu'a dit rin ?
Pourquoi qu'a fait rin ?
Pourquoi qu'a pense à rin ?

- A' xiste pas.
Jean Tardieu



 

Les erreurs



 (la première voix est ténorisante, maniérée,  prétentieuse ; l’autre est rauque, cynique et dure.)  
 
Je suis ravi de vous voir
bel enfant vêtu de noir.

- Je ne suis pas un enfant
je suis un gros éléphant.

Quelle est cette femme exquise
qui savoure les cerises ?
 
- C’est un marchand de charbon
qui s’achète du savon.

Ah ! Que j’aime entendre à l’aube
roucouler cette colombe !    

- C’est un ivrogne qui boit
dans sa chambre sous le toit.

Mets ta main dans ma main tendre
je t’aime ô ma fiancée !

 - Je n’suis point vot’fiancée
je suis vieille et j’suis pressée
laissez-moi passer !

Jean Tardieu

 


Extrait de La Leçon, d'Eugène Ionesco - ©Ed. Gallimard.

(Hatier - Profil Littérature)
(Gallimard - Folio)
LE PROFESSEUR
(...) Arithmétisons donc un peu

L'ÉLÈVE

Oui, très volontiers, Monsieur.
LE PROFESSEUR
Cela ne vous ennuierait pas de me dire...
L'ÉLÈVE
Du tout, Monsieur, allez-y.
LE PROFESSEUR
Combien font un et un?
L'ÉLÈVE
Un et un font deux.
LE PROFESSEUR, émerveillé par le savoir de l'ÉIève.
Oh, mais c'est très bien. Vous me paraissez très avancée dans vos études. Vous aurez facilement votre doctorat total, Mademoiselle.
L'ÉLÈVE
Je suis bien contente. D'autant plus que c'est vous qui le dites.
LE PROFESSEUR
Poussons plus loin: combien font deux et un?
L'ÉLÈVE
Trois.
LE PROFESSEUR
Trois et un?
L'ÉLÈVE
Quatre.
LE PROFESSEUR
Quatre et un?
L'ÉLÈVE
Cinq.
LE PROFESSEUR
Cinq et un?
L'ÉLÈVE
six.
LE PROFESSEUR
Six et un?
L'ÉLÈVE
Sept
LE PROFESSEUR
Sept et un?
L'ÉLÈVE
Huit.
LE PROFESSEUR
Sept et un?
L'ÉLÈVE
Huit... bis.
LE PROFESSEUR
Très bonne réponse. Sept et un?
L'ÉLÈVE
Huit ter.
LE PROFESSEUR
Parfait Excellent. Sept et un?
L'ÉLÈVE
Huit quater. Et parfois neuf.
LE PROFESSEUR
Magnifique Vous êtes magnifique. Vous êtes exquise Je vous félicite chaleureusement, Mademoiselle Ce n'est pas la peine de continuer. Pour l'addition vous êtes magistrale. Voyons la soustraction. Dites-moi, seulement, si vous n'êtes pas épuisée, combien font quatre moins trois?
L'ÉLÈVE
Quatre moins trois?... Quatre moins trois?
LE PROFESSEUR
Oui. Je veux dire: retirez trois de quatre.
L'ÉLÈVE
Ça fait... sept?
LE PROFESSEUR
Je m'excuse d'être obligé de vous contredire. Quatre moins trois ne font pas sept. Vous confondez:quatre plus trois font sept, quatre moins trois ne font pas sept... Il ne s'agit plus d'additionner, il faut soustraire maintenant.
L'ÉLÈVE
s'efforce de comprendre. Oui... oui...
LE PROFESSEUR
Quatre moins trois font... Combien?... Combien?
L'ÉLÈVE
Quatre ?
LE PROFESSEUR
Non, Mademoiselle, ce n'est pas ça.
L'ÉLÈVE
Trois, alors.
LE PROFESSEUR
Non plus, Mademoiselle... Pardon, je dois le dire... ça ne fait pas ça... mes excuses.
L'ÉLÈVE
Quatre moins trois... Quatre moins trois... Quatre moins trois?... ça ne fait tout de même pas dix?
LE PROFESSEUR
Oh, certainement pas, Mademoiselle. Mais il ne s'agit pas de deviner, il faut raisonner. Tâchons de le déduire ensemble. Voulez-vous compter? Vous savez bien compter? Jusqu'à combien savez vous compter?
L'ÉLÈVE
Je puis compter... à l'infini.
LE PROFESSEUR
Cela n'est pas possible, Mademoiselle.
L'ÉLÈVE
Alors, mettons jusqu'à seize.
LE PROFESSEUR
Cela suffit. Il faut savoir se limiter. Comptez donc, s'il vous plaît, je vous en prie



L'Appendicite (extrait de "Pour Lire sous la douche", Cami ©J.J.Pauvert.)
PREMIER ACTE Chez le docteur.
LE DOCTEUR
Il n'y a pas à s'y tromper: cher monsieur, vous avez l'appendicite.
LE MONSIEUR, s'effondrant
Seigneur, ayez pitié de moi !
LE DOCTEUR
Inutile de vous désespérer. Une simple petite opération vous délivrera de tous soucis!... si, toutefois, c'est bien l'appendicite que vous avez!
LE MONSIEUR
Comment! Vous n'en êtes pas plus sûr que ça?
LE DOCTEUR
Dame! avant que le ventre soit ouvert, nous ne pouvons faire que des suppositions.
LE MONSIEUR
Et quand il est ouvert?
LE DOCTEUR
Eh bien, quand il est ouvert, si ce n'est pas l'appendicite, l'opération est mortelle, mais si, par hasard, c'est bien cette maladie, oh! alors, c'est la guérison assurée et le triomphe de la Science!
LE MONSIEUR
C'est merveilleux! Quand faut-il me faire opérer?
LE DOCTEUR
Mais, tout de suite. Vous allez vous rendre chez le célèbre chirurgien.
LE MONSIEUR
Et ça me coûtera?
LE DOCTEUR
Venant de ma part, presque rien: une dizaine de mille francs.
LE MONSIEUR
Je vais de ce pas, frapper chez le célèbre chirurgien.
LE DOCTEUR, spirituel
C'est ça: frappez... et on vous ouvrira!
DEUXIÈME ACTE
Une rue déserte
LE MONSIEUR, qui court chez le chirurgien, aperçoit un apache
Pitié, monsieur l'apache! Voici ma bourse!
L'APACHE
Pour qui me prenez-vous? Je ne tue pas pour voler mais pour me distraire! Je suis neurasthénique! (Il plonge son couteau dans le ventre du monsieur)
TROISIEME ACTE
A l'hôpital.
LE CHIRURGIEN DE SERVICE, examinant le monsieur
Voilà qui est bizarre, par exemple ! Le couteau du bandit vous a tranché net l'appendice !
LE MONSIEUR, joyeusement
Ah ! le chic type ! Et moi qui allais débourser dix mille francs pour me faire extirper cette tripe !
QUATRIEME ACTE
La cour d'assises.
LE PRÉSIDENT, lisant le verdict à I'apache
Après avoir délibéré, la cour acquitte l'accusé pour sa tentative d'assassinat, mais le condamne à six mois d'emprisonnement pour exercice illégal de la médecine !

RIDEAU

LA COMÉDIE DU LANGAGE
de Jean Tardieu
©Ed. Gallimard.

Extrait de "Un mot pour un autre"

PERSONNAGES

MADAME
MADAME DE PERLEMINOUZE
MONSIEUR DE PERLEMINOUZE
IRMA, servante de Madame
Décor: un salon plus «1900» que nature.
Au lever du rideau, Madame est seule. Elle est assise sur un «sopha» et lit un livre.
IRMA, entrant et apportant le courrier.
Madame, la poterne vient d'élimer le fourrage...
Elle tend le courrier à Madame, puis reste plantée devant elle, dans une attitude renfrognée et boudeuse.
MADAME, prenant le courrier.
C'est tronc !... Sourcil bien !... (Elle commence à examiner les lettres puis, s'apercevant qu'lrma est toujours là :) Eh bien, ma quille ! Pourquoi serpez-vous là? (Geste de congédiement.) Vous pouvez vidanger!
IRMA
C'est que, Madame, c'est que...
MADAME
C'est que, c'est que, c'est que quoi-quoi ?
IRMA
C'est que je n'ai plus de « Pull-over » pour la crécelle...
MADAME, prend son grand sac posé à terre à côté d'elle et après une recherche qui paraît laborieuse, en tire une pièce de monnaie qu'elle tend à Irma.
Gloussez! Voici cinq gaulois! Loupez chez le petit soutier d'en face: c'est le moins foreur du panier...
IRMA, prenant la pièce comme à regret, la tourne et la retourne entre ses mains, puis.
Madame, c'est pas trou: yaque, yaque...
MADAME
Quoi-quoi: yaque-yaque ?
IRMA, prenant son élan.
Y-a que, Madame, yaque j'ai pas de gravats pour mes haridelles, plus de stuc pour le bafouillis de ce soir, plus d'entregent pour friser les mouches... plus rien dans le parloir, plus rien pour émonder, plus rien... plus rien... (Elle fond en larmes).
MADAME, après avoir vainement exploré son sac de nouveau et l'avoir montré à Irma.
Et moi non plus, Irma ! Ratissez: rien dans ma limande !
IRMA, levant les bras au ciel.
Alors ! Qu'allons-nous mariner, Mon Pieu ?
MADAME, éclatant soudain de rire.
Bonne quille, bon beurre ! Ne plumez pas ! J'arrime le Comte d'un croissant à l'autre. (Confidentielle.) Il me doit plus de cinq cents crocus
 
 





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